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CLAUDE DUCOULOUX-FAVARD
9 avril 2011

kerviel jugement (note)

kerviel

 

TGI Paris, 11° chambre, section 3

 

 

L’affaire Jérôme Kerviel ! C’est une affaire qui a été très médiatisée. D’abord parce qu’après l’affaire Madoff, l’escroc boursier du siècle aux Etats-Unis, le scandale est venu chez nous non pas d’une escroquerie à grande échelle mais de la somme énorme, 4,9 milliard d’euros, qu’un trader qui passait pour génial, Jérôme Kerviel, a fait perdre à sa banque, la Société Générale. Et ensuite, parce que le fautif lui-même a fait appel aux médias et notamment à la presse, avec son Livre : L’engrenage, Mémoire d’un Traider

, et en interpellant les témoins par la voie du Journal du Dimanche

,  afin qu’ils viennent témoigner «de ce qui se passe dans ce milieu là», celui des tradeurs et de montrer que «la thèse de la Société Générale selon laquelle personne n’aurait rien vu ne tiens pas», notamment «sur la connaissance qu’avaient ses supérieurs de ce qu’il faisait».

Autrement dit, Jérôme Kerviel plaidait la thèse de la victime consentente et de la crainte des témoins de parler de ce qui doit rester dans le secret des salles de marché.

 

Les juges n’ont pas suivi. 

Jérôme Kerviel a été condamné à Cinq ans de prison assorti d’un sursis de deux ans et à payer à la Société Générale qui s’était constituée partie civile, 1 471 275 773 euros. Celle-ci à renoncé dès le lendemain à percevoir cette somme, tandis qu’appel de la condamnation était déposé. Quant à la presse elle semble, dans l’ensemble, avoir été surprise par la lourde condamnation. Il y fut question de «bouc émissaire» (Libération), «d’escalier qui devrait se balayer toujours en commençant par le haut» (la Montagne), de «harro sur le courtier» (Paris Normandie), de ce que «la Société Générale s’en et sortie à bon compte» (Journal de la Haute-Marne) et de se demander «comment Jérôme Kerviel s’aquitera des 4,9 milliards d’euros ?» (La Croix). Il n’y eu guère qu’un professeur de droit pour écrire dans ce même journal que «s’offusquer du caractère excessif de cette somme, c’est méconnaître le droit».

 

Tout cela traduit les réactions de l’opinion publique face à un scandale éclatant en pleine Crise financière mondiale. Reste à examiner les motivations de la sévérité des juges.

 

+++++

 

De l’exposé des faits, il ressort de quel type de travail se plie un trader et du mode d’organisation des contrôles de la banque dont il est employé.

 

Jérôme Kerviel a été recruté à la Société Générale le 1° août 2000 et a été intégré en janvier 2005 dans l’équipe des traders. Matériellement cela correspond à un travail dans une station de trading de six opérateurs (qui sont des outils propres au trader). L’activité du trader donne lieu à l’ouverture d’un groupe opératoire comprenant plusieurs portefeuilles relevant d’une même stratégie. Quant au périmètre d’investigation, il est large puisqu’il porte sur la plupart des marchés européens dérivés (options, contrats à terme, swaps...), qui offrent un risque de contrepartie.

Une plage d’un montant d’opération était fixé et fut peu à peu surélevée, de 1million en 2005, puis 5, pour atreindre 125 millions en 2007 ; ce qui n’est pas peu ! Et cela fit dire à Jérôme Kerviel que «son mandat était évolutif et sans limites» (et son appétit de commissions aussi). Un fait était réel, pendant longtemps cela rapportait gros !

 

Ces activités à risques sont nécessairement soumises à un contôle qui doit être des plus sérieux. La Société Générale a organisé pour ce faire six directions fonctionnelles liées à la Direction. Sans en faire la description détaillée (elles se trouvent décrites dans les pages 5 à 12 du jugement), il en ressort qu’il s’agit d’un véritable  réseau permettant pour celui qui y est soumis, d’échapper à un contrôle efficace du fait que les opérations de surveillance, quotitiennes (parfois bi quotidiennes) ou mensuelles se recoupent mal. De surcroît, les opérations fictives sont aisées à monter et échapent facilement à des contrôles, certes multiples, mais formels.

 

En effet, le milieu dans lequel opére un trader est un milieu technicien et informatisé au plus haut degré. Les opérations y sont effectuées en temps réel et les produits dématérialisés. Ce qui permet toutes les fictions

. Ce qui permet des opérations (fictives) non fondées sur une réalité économique. La contrepartie n’est pratiquée que dans le but de liquider un événement de gestion (fictif).

Ainsi, Jérôme Kerviel prenait des positions fictives qui étaient calculées de telle façon qu’elles compensaient la position dissimulée, les résultats et les risques.

 

Mais, il ne s’est pas contenté de cela : il est parvenu à entrer dans l’ordinateur d’un supérieur, ce qui lui a donné la possibilité de fabriquer de faux mail. Système qu’il amplifia lorsqu’il commença à être questionné par ses supérieurs sur certains dépassements.

 

Il fut donc mis en examen et condamné pour : abus de confiance, introduction frauduleuse dans un système informatique et faux et usage de faux.

 

Il eut la bonne idée de reconnaître (devant les juges et dans son livre) ce qui ne pouvait être nié à partir de l’évidence des faits.

 

--Sur la qualification de ces trois délits, l’abus de confiance ne posait aucun problème puisqu’il lui avait été mis à sa disposition les moyens techniques pour opérer et que sciemment, il a détournés au préjudice de la Banque. A noter que selon une jurisprudence constante le préjudice existe indépendemment des pertes pécuniaires, du seul fait qu’elles peuvent survenir.

 

--Sur l’introduction frauduleuse d’un réseau informatique de l’article 323-3 du code pénal, le motif essentiel retenu par le tribunal (p 59 du jugement)  est que « le caractère frauduleux de l’introduction des données est «indépendant du caractère innovant et complexe des techniques employées, de l’évidence de la fictivité des opérations sous-jacentes ou du maintien de ces données en base tampon pendant plus de 20 jours pour certaines d’entre elles».

 

--Sur les faux et usages de faux, il était bien établi que Jérôme Kerviel avait fait de faux curiel en se servant  des précédents reçus des mêmes correspondants et à leur insue. Encore fallait-il prouver que ces messages constituaient au sens de l’article 441-1 du code pénal, un écrit valant titre juridique, c’est à dire faisant naître un droit ou une obligation. Le tribunal considéra qu’ils étaient bien destinés à établir l’existence de faits ayant des conséquences juridiques sur le marché et les partenaires du marché.

 

Le prévenu eut beau plaider qu’il «était pris dans une spirale» et qu’il fut «grisé par le succès», le tribunal ne manqua pas de relever que la stratégie frauduleuse lui était bien personnelle et que, bien mieux, il s’avait en inventer toujours de nouvelles pour cacher ses méfaits. Les juges allèrent jusqu’à lui reprocher un certain cynisme lorsqu’il invoquait la crise des surprimes , lesquelles n’avaient rien à voir avec ses propres malversations; ils lui reprochèrent également le fait qu’il n’avait pas ésité à mettre en péril la situation de 140 000 employés.

 

Pourtant, en face de ce jeune trader, se trouvait un PDG qui avouait à la presse «avoir commis des erreurs» et «n’avoir rien compris»

 et qu’il y avait «un défaut d’organisation du contrôle qui a été corrigé depuis»

. D’ailleurs, le tribunal n’a pas manqué de rappeler le rapport de la Commission Bancaire du 28 mars 2008 qui a donné un blâme à la Société Générale sur  la base del’article L 613-21 du code monétaire et financier et prononcé une amende de quatre millions d’euros pour manquement au bon contrôle des établissement de crédit (page 29 du jugement).

 

Que conclure de tout cela ? 

Attendre la décision qui aura l’autorité de la chose jugée. Et puis se dire que le dieu argent à ses prêtres et ses ouailles qui ne sont pas des saints.

 

 

CLAUDE DUCOULOUX-FAVARD

 

Le bulletin Lamy de droit pénal des affaires dont je suis directeur scientifique depuis sa création en 2010 a refusé ces pages

 

 

 

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